La création du spectacle « Paroles de sources »

Parfois, l’histoire des histoires mérite d’être contée.

Eté 2005. La fédé des foyers ruraux de Lozère demande à Marie-Laure, Sophie, Orane et Marc de préparer une création pour la première partie de l’ouverture du festival « Contes et rencontres » 2006. Premier challenge pour la jeune et fraîche association « Paroles de sources », forte de tout juste une saison de spectacles de contes à travers les Cévennes.

Les 4 décident de relever le défi. Voici, au jour le jour, leur carnet de route…

Pour faire venir l’inspiration, les 4 sont tous d’accord : il faut VIVRE quelque chose de fort, qui nous remue un peu, dans des directions inhabituelles. Oui mais voilà, que pourrait on bien vivre de fort ? Chacun fait des propositions mais aucune ne fait l’unanimité. Alors on décide de faire jouer le hasard.

La carte du Parc National des Cévennes est dépliée et posée au sol, un caillou blanc est sorti de terre pour jouer les innocents… Il va nous désigner la direction à prendre.

Même le lancer doit être piloté par le hasard, et personne ne doit privilégier une direction ou une autre, alors le caillou sera poussé par 3 mains.

A de nombreuses reprises il s’envolera vers d’autres cieux, bien loin de la carte et du Parc des Cévennes, mais il atterrit finalement au beau milieu de la carte, à proximité du patatoïde du Mont Lozère, que nous identifions avant même de nous approcher, impatients.

 

 

Tout le monde se penche, avide de découvrir vers quels horizons nous a envoyé le destin pour vivre de si fortes aventures et connaître une création sans limite.

 

D’une main tremblante, nous soulevons le caillou. Juste à son aplomb apparaît le sigle d’une cabane de montagne, succinctement dénommée « Chareylasse ». Chareylasse, chareylasse, c’est quoi ça, c’est où ? Y aura-t-y des gens la bas, ne serait-ce pas une sorte de bout du monde ?

Passée une première inquiétude bien légitime, les imaginations s’enflamment, Sophie remarque que les sources du Tarn sont tout près, le nom enchannnnnte Orane, Marie Laure est folle de joie de pouvoir sûrement trouver des tas de choses passionnantes sur son sujet du moment, les tourmentes… Tous les signes sont bons, on va créer comme jamais, c’est sûr …

 

 

L’objet du délit

Alors voilà, on va partir à Chareylasse un soir, on va s’y immerger jusqu’au cou, et en revenant 24 heures plus tard on aura (on espère) une moisson d’idées qui formeront (on espère) la trame de ce futur spectacle. On vous racontera la suite (enfin, on espère).

Voila quelques photos de la future célèbre équipe.

A Chareylasse, tout a manifestement été préparé pour nous mettre dans l’ambiance et activer nos imaginations. L’interminable et minuscule route bordée d’arbres géants, inclinés pour se chuchoter notre arrivée…

La nuit qui tombe avant le bout du chemin et ne nous livre que des impressions fantomatiques du village…

… le chat aux yeux Saphir (celui là, il serait étonnant qu’il ne se retrouve pas quelque part dans notre histoire !)…

… la montée dans le noir vers la crête pour installer la tente, sous les bouleaux bruissants, les vaches qui se lèvent à notre arrivée, la pluie qui arrive soudain… Les elfes de la montagne qui courent partout…

La nuit passe pourtant sans grands dommages. Le petit matin est blême, gris et humide, et la tentation de puiser notre inspiration dans les tonnes de bouquins que nous avons amenés plutôt que dans la confrontation avec ce lieu est forte… Mais voilà, la proximité des sources du Tarn, à quelques kilomètres seulement, ne peut pas être un hasard pour nous, membres de l’association « Paroles de sources ». Ces sources, elles ont certainement des choses à nous dire, il est tout bonnement impossible de l’ignorer. A la faveur d’une accalmie (de courte durée), nous partons.

L’aller sera… initiatique, disons. Froids, pluie, étranges rencontres avec des panneaux vides, vieille femme qui traîne dans la lande, sources qui reculent sans cesse dans le brouillard …

 

 

Elle existait, pourtant, la source. Mais il va nous falloir quelques temps pour comprendre ce qui est le plus important dans ce que nous y avons trouvé…

Dans notre grand sac nous avons maintenant des tas d’idées… il va falloir organiser tout ça, retravailler, polir les bosses et imaginer les creux. C’est la prochaine étape.

De la matière, on en avait engrangé, ça c’est sûr. La peur de manquer d’idée s’était envolée mais contrairement à ce qu’on pensait le plus dur restait à faire. Se mettre d’accord. De trois envies, de trois histoires, en faire un, une seule, cohérente, complète, dans laquelle chacun se sentirait bien…

Il a fallu s’attabler… époque oblige, l’ordinateur est devenu un outil important du conteur en création, et à plus forte raison d’un groupe de conteurs ! Tout se perd.

Des discussions, il y en eut. Des animées, des tristes, des énervées. Les moments de découragement ont été nombreux, et dans les moments les plus durs, il a fallu se faire du bien avec force feu de bois et tisanes aux miel…

Et peu à peu, jours après jours, l’incroyable s’est produit : une cohérence a commencé à apparaître dans tout ça. Des liens entre les univers se sont tissés, les rugosités se sont lissées, et une histoire a fini de prendre forme…

Résultat : une histoire unique, celle de Gabriel le breton exilé en Lozère, mais racontée à trois voix, selon trois points de vue différents. Le choix est rapidement fait d’y insérer des chants polyphoniques…

Le fil écrit, vient enfin le temps des répétitions. Chacun travaille ses propres parties de son côté, puis on fait des « filages » tous ensemble, en mettant tout ça bout à bout. Les premières confrontations sont surprenantes tant chacun a son style bien personnel… On se découvre peu à peu. On réajuste des détails incohérents, on rééquilibre les durées… chaque filage dure un peu moins que le précédent, signe que le spectacle s’élague progressivement, chacun abandonnant ce qu’il juge superflu pour ne conserver que ce qui semble servir l’histoire.

Le travail sur les chants est également une autre grande étape. Plusieurs  demi-journées, managés par Hervé, nous permettent d’affiner un peu les polyphonies…

Un vrai travail, aussi important que celui sur le conte… mais auquel nous tenons car on sent qu’il va payer, et apporter beaucoup au spectacle. Parfois, certains détails d’une chanson nous redonnent des idées sur le fil de l’histoire qui est sans cesse affiné. Tout interagit sur tout.

Et puis, après de longs mois… le spectacle nous semble arrivé à un stade satisfaisant. Il était temps : dans quelques jours, c’est Contes et rencontres ! Mais ceci est une autre histoire !